« La Coupe du monde 2022 de football aura bien lieu, mais à quel prix pour le Qatar ? »
Sport Coupe du monde Chronique Jérôme Latta Un boycottage du Mondial 2022 est peu probable, mais la mobilisation de footballeurs pour les droits humains met une pression inédite sur le Qatar et la FIFA, explique, dans sa chronique, Jérôme Latta. Publié aujourd’hui à 09h51, mis à jour à 11h04 Temps de Lecture 3 min. Les…
Un boycottage du Mondial 2022 est peu probable, mais la mobilisation de footballeurs pour les droits humains met une pression inédite sur le Qatar et la FIFA, explique, dans sa chronique, Jérôme Latta.,
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Un boycottage du Mondial 2022 est peu probable, mais la mobilisation de footballeurs pour les droits humains met une pression inédite sur le Qatar et la FIFA, explique, dans sa chronique, Jérôme Latta.
Publié aujourd’hui à 09h51, mis à jour à 11h04Temps de Lecture 3 min.
Les Néerlandais, ont, en préambule de leur match de qualification pour le Mondial 2022 samedi 27 mars, arboré des maillots avec un message dénonçant le non-respect des droits humains par Doha. PETER DEJONG / AP
Une bombe à retardement : l’expression a souvent servi à qualifier l’attribution au Qatar de l’organisation de la Coupe du monde de football 2022. Il se peut que la « bombe » finisse d’exploser précisément au moment où la compétition se déroulera. Finisse seulement, parce que depuis cette attribution, il y a un peu plus de dix ans, les déflagrations successives ont été nombreuses.
La Fédération internationale de football (FIFA) a été entraînée dans une litanie d’affaires judiciaires, et contrainte de bouleverser le calendrier mondial du football en déplaçant la compétition en novembre et décembre pour éviter des conditions climatiques impossibles. Surtout, le Qatar a été moins placé dans la lumière espérée que sous un feu de critiques dont on avait eu un avant-goût au moment des Mondiaux de cyclisme en 2016 et d’athlétisme en 2019.
En plus des appels au boycottage de son Mondial, un mouvement de protestation émane désormais des footballeurs et de leurs sélections. Depuis quelques jours, Norvégiens, Allemands, Néerlandais et Danois ont, en préambule de leurs matchs de qualification, arboré des messages dénonçant le non-respect des droits humains par Doha.
Censure politique des sportifs
L’alarme avait été sonnée très tôt par des enquêtes du Guardian ou du Monde et plusieurs rapports de Human Rights Watch, Amnesty International et de la Confédération syndicale internationale. Une nouvelle étude du quotidien britannique, publiée en février, a fait déborder la coupe en recensant – pour une partie seulement des ressortissants étrangers – 6 500 décès de travailleurs migrants depuis dix ans dans l’émirat.
A vingt mois du coup d’envoi, un boycottage reste très improbable. A une époque plus militante, celui du Mondial argentin de 1978 avait échoué, et on n’est plus au temps de la guerre froide, quand Washington et Moscou pouvaient entraîner leurs alliés dans l’abstention olympique (1980 et 1984). Depuis, les instances sportives internationales ont adopté une stricte doctrine de prohibition des expressions politiques.
Mais alors que les sportifs et les spectateurs étaient tenus au silence, les gouvernements du sport continuaient à livrer celui-ci à des Etats cherchant à l’instrumentaliser, cette fois sous les formes modernes du soft power. L’apolitisme n’a plus consisté qu’à s’épargner tout scrupule au moment de se mettre au service de régimes peu fréquentables – d’autant que même les démocraties les plus riches jugent exorbitant le coût des grands événements sportifs.
L’argument des confédérations sportives selon lequel l’exposition médiatique contraindrait les gouvernements à faire des efforts atteint ses limites. Les Jeux olympiques 2008 à Pékin ont-ils incité le régime chinois à s’amender ? Si le Qatar a révisé son droit social, de nature féodale, l’application des réformes est jugée insuffisante par les organisations non gouvernementales (ONG) L’Etat maintient autant d’opacité qu’il le peut, et la FIFA s’abstient de faire pression sur son partenaire.
Le « sportwashing » sur la sellette
Jérôme Valcke, alors secrétaire général de la FIFA, n’avait-il pas estimé en 2013, à propos de Russie 2018 : « Un moindre niveau de démocratie est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde » ? L’année suivante, son président, Sepp Blatter, disait que le football était « plus fort que n’importe quel mouvement protestataire »…
La sanctuarisation des stades apparaît dans toute son hypocrisie aujourd’hui, notamment chez les footballeurs, de plus en plus nombreux à la transgresser : soutien collectif au mouvement Black Lives Matter, engagements des joueurs britanniques Raheem Sterling contre le racisme systémique et Marcus Rashford en faveur des enfants pauvres, prises de position d’Antoine Griezmann contre la persécution des Ouïgours, de Kylian Mbappé et d’autres contre les violences policières en France, etc.
Si la conscience politique vient aux footballeurs (si elle leur revient, plus exactement, car ils l’ont eue maintes fois par le passé), s’ils s’accordent le droit d’être des citoyens et si on ne conteste plus leur légitimité à l’être, s’ils portent la pression sur les sponsors et les fédérations, les opérations de « sportwashing » dont les grandes compétitions sont les outils seront mises à mal.
La « grande fête » de la prochaine Coupe du monde présentera un bilan humain accablant, se déroulera dans un pays de 2,5 millions d’habitants (dont 10 % de nationaux) qui néglige les droits de l’homme, sans tradition footballistique, dans des stades absurdement surdimensionnés qu’il faudra « climatiser »…
L’évidence de cette aberration politique, sportive, économique et écologique s’impose tardivement. La Coupe du monde 2022 aura bien lieu, mais à quel prix pour le Qatar ?