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Politique

Qui est Ibrahim Lakiss, grand trafiquant de bois?

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« Trafic de bois : les coulisses du pillage » (1/5). Arrêté en novembre 2021, Ibrahim Lakiss, exploitant forestier ivoiro-libanais, est soupçonné d’avoir mis en place un système de racket avec la complicité de nombreux responsables régionaux et d’opérateurs privés. Enquête sur un scandale d’État qui a coûté son poste au ministre des Eaux et Forêts, Alain-Richard Donwahi.

Planté en plein cœur de la très cossue commune de Cocody, l’Ivoire Trade Center (ITC) est l’un des nouveaux coins chics d’Abidjan. L’antenne ivoirienne du cabinet d’audit et de conseil PricewaterhouseCoopers (PWC) y a établi ses bureaux. La bourgeoisie aime se délasser dans ce petit centre commercial au sol marbré, mitoyen de l’hôtel Sofitel Ivoire, avec son magasin de l’enseigne française Monoprix, son caviste hors de prix et ses restaurants bien sous tous rapports. On y donne ses rendez-vous professionnels, on vient y bruncher le dimanche. Et, en de très rares occasions, on s’y fait arrêter.

Il est tout juste 21 heures, ce samedi 20 novembre 2021. Les enquêteurs de l’Unité de lutte contre la grande criminalité (ULGC) sont sur le point de mettre la main sur un exploitant forestier qu’ils pistent depuis près d’une semaine. Son téléphone borne à plus d’une centaine de kilomètres de là, non loin de Niablé, dans l’est de la Côte d’Ivoire, mais la source est formelle. L’homme qu’ils recherchent est bien là, attablé en terrasse avec sa femme, un cigare aux lèvres, une montre en or au poignet. Ibrahim Lakiss dirige la plus grosse scierie d’Abengourou. L’étendue précise de sa fortune est incertaine. Mais, dans le milieu, on le dit milliardaire.

Conduit au camp de Sebroko, dans le quartier d’Attécoubé, à Abidjan, où est établie l’ULGC, il sera déféré deux semaines plus tard à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), où il se trouve encore. Ibrahim Lakiss est poursuivi pour association de malfaiteurs, corruption, extorsion de fonds, déboisement sans autorisation du domaine forestier, blanchiment, enrichissement illicite et harcèlement moral. Son arrestation est le fruit d’une enquête de plusieurs semaines qui a mis au jour un système quasi mafieux, ébranlé tout entier le ministère des Eaux et Forêts, jusqu’à son ministre, Alain-Richard Donwahi. En poste depuis le 19 juillet 2017, il a été remplacé le 20 avril par Laurent Tchagba et ne fait désormais plus partie du gouvernement.

Courriers et plaintes
Issu de l’une des grandes familles qui dirigent le pays depuis plus de soixante ans, Alain-Richard Donwahi avait déjà été épinglé pour sa gestion du ministère de la Défense, dont il a occupé les rênes de janvier 2016 à 2017. À l’époque, cet ancien cadre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) était sous pression pour rejoindre le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Hédoniste, amateur de moto, il se rend régulièrement en hélicoptère dans son fief de la Nawa, dont il est le président du Conseil régional. Il est aussi l’un des dignitaires importants de la Grande Loge de Côte d’Ivoire (GLCI). L’avocat Sylvère Kuyo, qui a succédé à Hamed Bakayoko comme Grand Maître, en a fait son adjoint. Contacté, Alain-Richard Donwahi n’a pas répondu aux sollicitations de Jeune Afrique.

Selon le journal le monde, Ibrahim Lakiss se verrait bien jouer un tel rôle. Avec sa quarantaine d’indics en brousse, le directeur de la plus grosse scierie d’Abengourou court depuis des mois après les scieurs clandestins, « souvent originaires du Ghana voisin », affirme-t-il. L’entrepreneur, propriétaire de plus de 250 000 hectares de forêts, vient d’apprendre que des dizaines d’arbres de son périmètre ont été tronçonnés et transformés sur place en planches de bois « revendues 3 000 francs [environ 4,5 euros] l’unité ». Rattrapés par le jour, les scieurs n’ont pas réussi à tout emporter. « Vous avez vu le massacre, peste-t-il : des framirés qui ne sont même pas arrivés à maturité. Et ça, c’est quasi quotidien, le sciage clandestin est un fléau. » Au loin, la forêt résonne du vacarme d’autres tronçonneuses qui poursuivent le travail de déforestation, au grand dam de l’industriel. A l’oreille, les membres de l’armée verte se lancent à leur recherche. En vain.

Laboratoire d’agroforesterie
A quelques kilomètres de là, un lieu donne toutefois un peu d’espoir : la forêt classée de Béki est depuis plus de vingt ans le laboratoire agroforestier de la région. Si les plantations de cacao les plus récentes y sont automatiquement rasées, la Sodefor y a semé des graines de fraké, de tiama et de bété sur les anciennes parcelles clandestines pour développer le couvert forestier de la zone et sensibiliser les planteurs de cacao aux bienfaits de l’agroforesterie, censée rétablir les sols et stopper le ruissellement des eaux de pluie.

Une stratégie qui vise à contrecarrer au plus vite les effets du changement climatique. « Les saisons sont bouleversées avec des mois très arides et des périodes de précipitations très violentes. La forêt doit continuer à jouer son rôle de régulateur », insiste le commandant Gnago Charbel, directeur régional des eaux et forêts.

Ces initiatives semblent avoir un impact positif. L’ONG Mighty Earth note en effet un recul du taux de déforestation dans le pays en 2020. La brigade verte n’en est qu’à ses débuts, mais c’est surtout « la convergence d’actions qui permet d’aboutir à ce résultat », selon le ministre.

La Côte d’Ivoire s’est engagée à augmenter son couvert forestier, passant de 11 % à 20 % de son territoire d’ici à 2030 et lance, pour y parvenir, des opérations de reboisement à grande échelle. Après avoir planté un million d’arbres en 2019, cinq millions en 2020, le ministère vise les 50 millions en 2021. Encore bien loin, toutefois, de l’objectif officiel de 3 milliards d’arbres sur dix ans.

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Pulicité