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Le Parquet national financier avait accusé les barons du rugby français d’avoir scellé un « pacte corruptif » en signant un contrat d’image pour 180 000 euros.

Bernard Laporte (à gauche) et Mohed Altrad (à droite), le 6 février 2022 au Stade de France, à Saint-Denis, lors d’un match du Tournoi des six nations.

A moins d’un an de la Coupe du monde en France, la décision était guettée avec fébrilité par l’Ovalie tricolore. Le président de la Fédération française de rugby (FFR), Bernard Laporte, et Mohed Altrad, propriétaire du club de Montpellier et sponsor maillot des Bleus, ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Paris, mardi 13 décembre, pour corruption.

Dans le détail, M. Laporte a été reconnu coupable de prise illégale d’intérêts pour la signature, au nom de la FFR, du contrat avec Altrad Investment Authority (AIA), la holding du groupe Altrad. Il a également été déclaré coupable du délit de trafic d’influence, de corruption passive pour quatre interventions et délit de recel d’abus de biens sociaux. Pour ces faits, il a été condamné à deux ans de prison avec sursis et à 75 000 euros d’amende.

Conformément aux réquisitions du parquet, M. Laporte est également condamné à deux ans d’interdiction d’exercer une fonction en lien avec le rugby.

Justifiant la condamnation par la « gravité des faits », la présidente du tribunal a relevé la « méconnaissance » par Bernard Laporte des « principes de déontologie » qu’il était pourtant chargé d’appliquer. « Chacune de ses interventions [a été] guidée par un parti pris envers Mohed Altrad », a-t-elle précisé lors de la lecture de la décision.

M. Altrad a été reconnu coupable de faits de corruption active, de trafic d’influence et d’abus de biens sociaux. Il a été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et à 50 000 euros d’amende. Il a également interdiction de gérer une entreprise pendant deux ans. Récompensé par le prix de l’entrepreneur mondial de l’année en 2015, trente et unième fortune de France en 2021 selon Challenges, avec un patrimoine estimé à près de 4 milliards d’euros, l’homme d’affaires d’origine syrienne, à la tête d’un groupe qui emploie cinquante-deux mille personnes dans le monde, avait repris en 2011 le club héraultais, alors au bord de la faillite.

Ce dernier, champion de France en titre, a précisé mardi après-midi qu’il n’était « ni visé ni impacté par cette décision » et ajouté que « Mohed Altrad continuera[it] d’investir son temps et son énergie dans ses missions de direction pour son club, ses salariés et ses partenaires ».

Bernard Laporte fait appel

Ces décisions ne sont pas exécutoires, c’est-à-dire qu’elles pourront être suspendues en cas d’appel. Bernard Laporte a annoncé sa volonté de faire appel. « Les infractions de corruption et de trafic d’influence n’existent ni en droit ni en fait », a affirmé son avocat, Jean-Pierre Versini-Campinchi.

M. Altrad va étudier le jugement avant de se prononcer, selon Antoine Vey, son conseil. « Nous nous réservons le droit d’interjeter appel dans les prochains jours », a-t-il précisé.

Trois autres prévenus ont également été jugés dans ce dossier à tiroirs, ouvert en 2017. Claude Atcher, récemment démis de la tête du comité d’organisation du Mondial 2023 pour des pratiques managériales jugées « alarmantes », a été relaxé des poursuites les plus graves de recel d’abus de confiance. Il a cependant été condamné à 5 000 euros d’amende pour des faits de travail dissimulé. Benoît Rover, associé de Claude Atcher dans la société Score XV, devra s’acquitter de la même somme. Le vice-président de la FFR, Serge Simon, qui était soupçonné de prise illégale d’intérêts, a, lui, été relaxé.

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« Pacte de corruption »

Poursuivi pour six infractions, Bernard Laporte joue, au-delà de sa situation judiciaire, son image et celle de la FFR, qu’il préside depuis la fin de 2016 et qui est aujourd’hui entièrement tournée vers le prochain Mondial (8 septembre-28 octobre 2023). A la barre, l’ancien sélectionneur du XV français avait dû s’expliquer sur une série d’arbitrages rendus en 2017 et 2018 en faveur de son ami Mohed Altrad, avec qui il avait signé un contrat d’image confidentiel rémunéré 180 000 euros, sans contrepartie clairement identifiée.

Lié par ce que l’accusation considère comme un « pacte de corruption », M. Laporte aurait favorisé l’homme d’affaires, notamment en octroyant au groupe Altrad le tout premier sponsoring maillot de l’histoire des Bleus, au terme d’un processus sinueux qui avait froissé les partenaires historiques du XV tricolore. « La procédure de mise en concurrence a été conduite afin que seule la société AIA formule une proposition », a estimé la présidente du tribunal.

Le patron du rugby français serait également intervenu en 2017, à plusieurs reprises, en soutien des intérêts du club de Montpellier, en particulier pour alléger des sanctions disciplinaires qui le visaient. Sous son impulsion, la FFR a également annulé la décision de la Ligue nationale de rugby d’annuler le report de deux matchs du Top 14 auquel M. Altrad était notoirement opposé. Poursuivi pour ces faits, M. Simon a été relaxé par le tribunal.

Face au tribunal, M. Laporte avait « rejeté en bloc » les accusations, mais parfois peiné à justifier son contrat personnel avec M. Altrad, dont la mise au jour par la presse à l’été 2017 avait conduit le Parquet national financier (PNF) à ouvrir une enquête. « Dans ma tête, il n’y a pas de conflits d’intérêts », avait soutenu l’ex-secrétaire d’Etat aux sports de Nicolas Sarkozy. La défense avait dénoncé un dossier instruit, selon elle, à charge par le PNF et reposant sur le « fantasme » d’un pacte corruptif.

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Nouvelle enquête du PNF

Claude Atcher est l’autre figure centrale de ce dossier à tiroir. A la tête de sa société Score XV, il avait été recruté au début de 2017 par M. Laporte pour ficeler la candidature de la France au Mondial 2023, alors au point mort. Cet ancien rugbyman avait contribué à la victoire du dossier français mais aurait aussi, selon le PNF, indûment perçu des sommes de la fédération avec l’assentiment direct de M. Laporte, se rendant coupable d’un recel d’abus de confiance. A l’issue de l’enquête, le préjudice pour la FFR avait été évalué à environ 80 000 euros, un montant qui avait fluctué au gré de l’audience au grand dam de la défense de M. Atcher, qui avait dénoncé un « acharnement judiciaire et médiatique ».

Au début de novembre, le comité d’organisation du Mondial 2023 avait par ailleurs été perquisitionné dans le cadre d’une nouvelle enquête du PNF pour favoritisme, trafic d’influence et corruption, liée à de possibles irrégularités sur la billetterie du prochain Mondial.

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Le Monde avec AFP