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Politique

Maïder Macé, trait d’union entre l’Union européenne et les porteurs de projets au Sénégal : «Les Sénégalais sont très court-termistes dans leur vision de l’avenir» – Lequotidien

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Maïder Macé, monitrice du programme Archipelago, est le trait d’union entre l’Union européenne et les porteurs de projets. L’Ue est le bailleur de ce programme dont l’objectif principal est d’améliorer l’employabilité des jeunes par des actions ciblées de formation professionnelle et de renforcement des capacités entrepreneuriales des dirigeants de Pme dans 12 pays du Sahel et de la zone du Lac Tchad. Maïder Macé revient dans cet entretien sur les résultats engendrés par le programme au Sénégal, les enjeux de la formation professionnelle et de l’insertion des jeunes pour de meilleures perspectives d’avenir, entre autres…

Qu’est-ce que le programme Archipelago ?
Archipelago est un programme financé par l’Union européenne sur une durée de 4 ans (2019-2022) et à hauteur de 15 millions d’euros, soit près de dix milliards F Cfa. Le programme se déploie sur toute la région du Sahel et du Lac Tchad, de la Mauritanie au Cameroun, et se décline en vingt (20) projets portés majoritairement par des chambres consulaires, c’est-à-dire des chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture, et des chambres de métiers. Ces dernières sont et/ou peuvent être associées à des centres de formation. Les vingt (20) projets ont été portés par des binômes euro-africains, c’est-à-dire que le chef de file ou le coordinateur est généralement une structure européenne qui est associée à une structure africaine, que ce soit au Sénégal, en Mauritanie, au Cameroun ou au Niger par exemple.

C’est un programme qui est destiné à mettre en œuvre des cursus de formation professionnelle duale, c’est-à-dire en alternance en centre de formation et en entreprise, mais aussi des modules de formation en gestion et à la création de petites et moyennes entreprises. Ces formations sont destinées aux jeunes, femmes et migrants de retour dans les localités africaines. C’est un programme qui est fondé sur une approche qu’on appelle «bottom-up». C’est-à-dire qu’on part des besoins du terrain pour élaborer des projets qui répondent aux besoins identifiés. Au titre de ce programme, les porteurs de projets ont choisi des métiers en tension qui ont un fort besoin en compétences qualifiées. Cela peut être de l’horticulture, de la maroquinerie, de l’aviculture, de l’électricité, de l’énergie photovoltaïque, etc. Le programme est financé sur le Fonds fiduciaire d’urgence de l’Ue pour l’Afrique, qui est destiné à juguler les migrations des jeunes africains vers l’Afrique du Nord et vers l’Europe, en les aidant à se former dans des métiers à fort potentiel de croissance et à s’insérer dans le marché du travail. On aide ces jeunes de retour à se réinsérer professionnellement, économiquement et socialement.

Concrètement pour le Sénégal, qu’est-ce qui a été fait, pour quels résultats ?
Le Sénégal a décroché 4 des 20 projets mis en œuvre par le programme Archipelago. C’est un record, même si le Cameroun aussi est arrivé avec 4 projets. Le Sénégal se démarque particulièrement par le fait que ces 4 projets impliquent tous des chambres consulaires, et majoritairement des chambres de métiers. Elles ont renforcé des compétences dans les métiers artisanaux et accompagné les futurs artisans et ceux qui sont déjà en activité dans le renforcement de leurs capacités. On estime à près de 1300 jeunes, formés à des métiers à fort besoin de compétences qualifiées.

Ça peut être des métiers comme l’aquaculture, la couture, l’écoconstruction, le froid, la climatisation, etc. Nous avons eu une grande variété de métiers et de régions aussi. Ce sont 9 régions qui ont été impactées par le programme. Les formations ont été carrément délocalisées. Pour une fois, j’ai envie de dire que tout ne s’est pas passé uniquement qu’à Dakar. L’essentiel des formations a eu lieu en région parce que l’on estime que certaines filières avaient besoin d’être développées dans des régions stratégiques. Je veux donner l’exemple de l’écoconstruction à Saint-Louis qui a besoin de main-d’œuvre pour rénover son patrimoine bâti. Le Sénégal a perdu ses compétences en écoconstruction et en construction traditionnelle. Je peux aussi citer l’exemple de l’aquaculture à Kolda.

L’objectif du programme vise à lutter contre l’émigration irrégulière des jeunes, tout en leur offrant des opportunités dans leurs pays d’origine. Après évaluation, pensez-vous que le programme a réussi à changer la propension des jeunes à vouloir émigrer ?
Je dois informer que certains projets ont développé des partenariats avec des associations qui s’occupent de mettre en place des caravanes pour inciter les jeunes à rester dans leur pays. C’est une première initiative qui avait été menée. On estime en outre que le taux de réinsertion des migrants de retour a été satisfaisant. Je dois préciser cependant que ce n’était pas facile de travailler avec des migrants de retour parce que certains étaient déjà en activité et il était difficile pour eux de laisser leurs activités pour venir se former. Ceci dit, ceux qui ont participé aux formations ont été très volontaires et il y a eu un grand taux de réussite parmi eux. Les 1300 jeunes qui ont été formés au Sénégal ont acquis des compétences pour rester dans leur pays et développer une activité économique rentable.

L’autre difficulté que l’on a rencontrée réside dans le fait que nous n’avions pas suffisamment d’entreprises d’accueil pour les stages pratiques d’une part et, d’autre part, qu’il y avait peu d’entreprises qui avaient la capacité d’insérer toute cette nouvelle main d’œuvre. C’est pourquoi nous avons choisi de former les jeunes dans la création d’entreprise afin de les outiller à être ou devenir des entrepreneurs. On a aussi formé des jeunes qui avaient un projet de départ pour d’autres pays africains ou l’Europe. C’est grâce à la formation qu’ils ont reçue par le programme qu’ils ont décidé de rester afin de travailler et d’investir dans leur pays. Certains l’ont même témoigné.

Est-ce qu’il y a des partenariats qui ont été envisagés avec l’Administration sénégalaise ou certaines structures pour permettre à ces jeunes non seulement de trouver une insertion, mais d’éviter les doublons dans la mise en œuvre des activités ?
On a beaucoup travaillé avec des structures comme l’Anpej, le 3Fpt, l’Onfp. Les inspections d’Académie ont également été impliquées. A titre d’exemple, l’Onfp a été directement impliqué parce qu’il a directement certifié certaines de ces formations. Après, il faut dire que c’est un programme très spécifique coordonné par des chambres consulaires sur un modèle très particulier. Ce n’était pas simple de mutualiser les formations avec d’autres projets. Je précise aussi que c’étaient des formations courtes qui variaient entre 6 semaines et 6 mois. Nous n’étions pas sur de la formation longue, mais l’avantage c’est que nous avons formé une main-d’œuvre qui est rapidement disponible sur le marché du travail.
L’avantage ou l’atout de ce programme, c’est que l’on travaille avec des chambres consulaires. C’est-à-dire les chambres de commerce ou encore de métiers. Une fois que les jeunes ont été formés et qu’ils veulent mettre au point leur propre entreprise, les chambres vont être mobilisées pour les suivre dans tout le processus de création d’entreprise. Elles pourront les former et accompagner à la création d’entreprise, et programmer le suivi plus tard. Ensuite, beaucoup de ces jeunes ont été insérés dans les territoires concernés par le programme et affiliés aux chambres consulaires. Egalement, les chambres peuvent se diriger ou orienter les jeunes vers les dispositifs institutionnels existants pour les accompagner. Par exemple la Der/fj pour financer des projets de création d’entreprise, l’Agence nationale de la promotion de l’emploi des jeunes (Anpej) ou encore les mettre en rapport avec le dispositif comme les pôles emploi via les espaces «Sénégal Services».

Qu’est-ce qui a motivé le choix des chambres consulaires pour porter un tel programme si l’on sait qu’elles n’ont souvent pas les moyens de leurs propres politiques ?
L’atout des chambres, c’est qu’elles sont les représentantes du secteur privé, en général des petites et moyennes entreprises sur l’ensemble de leur territoire. Elles connaissent les problèmes que rencontrent leurs entreprises sur leur territoire. Elles connaissent très bien le tissu économique local de leur périmètre. C’est surtout grâce à cela qu’elles ont pu travailler avec des artisans ou des opérateurs économiques locaux, des commerçants, des entreprises de services pour savoir quels étaient les métiers à fort besoin en compétences professionnelles qualifiées. Elles ont pu travailler avec elles et les centres de formation. C’est dire qu’on a travaillé dans un écosystème complet (secteur privé et représentants du secteur privé, mais aussi de la formation professionnelle) pour identifier les filières stratégiques.

Est-ce qu’il a été développé un programme de formation et/ou de renforcement de capacités au profit de ces chambres pour les permettre de faire correctement le travail de suivi ?
Je voudrais citer l’exemple du projet porté par la Chambre de commerce et d’industrie des Côtes d’Armor en France, en partenariat avec la Chambre de commerce de Thiès qui a fortement insisté sur cet aspect que l’on appelle le compagnonnage consulaire. Il vise à renforcer les compétences des chambres consulaires locales pour qu’elles apportent de meilleurs services à leurs entreprises. A titre d’exemple, la Chambre de commerce de Thiès a développé de nouveaux services d’aide à la création d’entreprise : le Cfe (Centre de formalités des entreprises), et a mis en place des modules de formation de 5 jours dédiés à la formation à la gestion d’une entreprise intitulé le Parcours de l’entrepreneur. Elle a également mis en place le parcours du primo-entrepreneur qui est la formation à la création d’entreprise. Ce sont des services qui ont vocation à être pérennisés à la Chambre de commerce de Thiès, moyennant soit une recherche de financement auprès d’autres bailleurs de fonds, soit en faisant payer le service aux demandeurs. Tout cela s’est fait grâce au partage d’expériences de la Cci des Côtes d’Armor qui a répliqué ces services, tout en les adaptant au contexte sénégalais.

Quels conseils aux jeunes ou candidats à l’émigration qui pensent ou considèrent l’Europe comme un eldorado ?
Au risque d’être un peu dure, j’ai envie de leur dire qu’en Europe, on ne les attend pas. Que la «Teranga», hospitalité sénégalaise, n’existe malheureusement pas en Europe. Sans formation, sans diplôme et sans point de chute, ce sera très dur pour eux de s’insérer dans le milieu professionnel en Europe. Les jeunes ici (Europe) sont très diplômés et il y a déjà une compétition très rude entre jeunes Européens pour accéder aux meilleurs emplois. Les emplois qui restent sont les petits boulots. Et ce sont ceux qui sont malheureusement accordés aux migrants. Le pécule qu’ils voudraient réunir pour partir en Europe, ils peuvent le garder et l’utiliser pour créer leurs entreprises et développer leur pays. Ensuite, je leur conseillerais d’avoir une vision à moyen et long termes. Parce que le reproche que l’on pourrait faire aux Sénégalais, c’est qu’ils sont très court-termistes dans leur vision de l’avenir. Ils créent des entreprises, engrangent des bénéfices et puis, il n’y a pas de «après», ni de projection sur le long terme. Il faut qu’ils fassent fructifier leur argent, subvenir au besoin de leur famille sans forcément aller risquer sa vie en mer et, une fois en Europe, dormir sous les ponts. Je vois beaucoup de migrants qui dorment dans la rue, quémandent et vivent très mal le fait d’être à l’étranger sans pouvoir envoyer de l’argent à leurs familles.
Propos recueillis par Pape Moussa Diallo

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