Cet article vous est offert

Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous

Se connecter

Vous n’êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Inscrivez-vous gratuitement

  • Le Monde Afrique
  • Sénégal

Le chef du gouvernement multiplie audits des comptes publics et prises de parole clivantes. L’Assemblée, toujours dominée par la coalition de l’ex-président Macky Sall, pourrait être dissoute à la mi-septembre.

Au centre, le futur premier ministre Ousmane Sonko le jour de la passation de pouvoir entre le président sénégalais sortant Macky Sall (à dr.) et son successeur (à g.) Bassirou Diomaye Faye, le 28 mars 2024, à Dakar.

C’est un mal récurrent au Sénégal. Les inondations surviennent à chaque hivernage, la saison des pluies. Parfois meurtrières, elles paralysent l’activité des villes, mettent à mal les biens et les personnes. Cette année encore, des rues de la capitale Dakar, celles de Kaolack, deuxième centre économique du pays, et de Touba, centre spirituel et religieux de la puissante confrérie mouride, sont sous les eaux.

Nommé premier ministre le 2 avril, Ousmane Sonko est confronté pour la première fois à ce phénomène climatique destructeur. Anticipant cette nouvelle crise, il avait promis au mois de mai de régler le problème. A terme tout du moins. Dans l’immédiat, le nouveau chef de gouvernement avait ordonné un audit sur l’utilisation des fonds du plan de lutte contre les inondations (717 de milliards de francs CFA, soit 1,1 milliard d’euros) mis en place par le pouvoir sortant et dont il avait dénoncé l’inefficacité.

Cette histoire illustre les hésitations de la gouvernance actuelle. Les nouveaux dirigeants répètent à l’envi cette phrase énoncée le 3 août par Ousmane Sonko : « Nous avons trouvé un Etat en ruine. » Depuis, le premier ministre multiplie les comités chargés d’auditer la gestion du précédent régime. Dernier en date, lundi 19 août, la création d’une commission pour étudier les contrats miniers, pétroliers et gaziers signés avec des entreprises étrangères, jugés défavorables, en vue de les renégocier.

Accuser de mépriser les institutions

Ces initiatives « permettent au premier ministre d’agir sans passer par le Parlement, explique Papa Fara Diallo, maître de conférences à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis. Il mobilise les pouvoirs et les services de l’Etat sur lesquels il a la main, comme l’inspection des finances, les impôts et domaines… » Les grandes réformes, elles, se font toujours attendre faute de majorité à l’Assemblée nationale.

Depuis les législatives de 2022, les élus de Benno Bokk Yakaar, la coalition de l’ex-président Macky Sall (2012-2024), en occupent en effet 83 des 165 sièges. Adji Mergane Kanouté, vice-présidente de ce groupe, attend, comme beaucoup de ses pairs, que le premier ministre fasse sa déclaration de politique générale devant le corps législatif. « Les inondations sont une illustration : il se passe des choses dans le pays et il faut qu’on puisse en débattre, dit-elle. Le moment est venu pour le premier ministre de se présenter à l’Assemblée nationale. »

M. Sonko s’y est jusqu’à présent refusé, arguant que les fonctions de chef de gouvernement n’étaient pas définies dans le règlement de l’Assemblée. C’est chose faite depuis le 16 août. Les députés ont voté une modification afin de permettre à M. Sonko de se présenter devant eux. Mais rien n’indique qu’il le fera. Pour le moment, il communique par d’autres moyens, quitte à offrir des arguments à l’opposition, qui l’accuse de mépriser les institutions.

Récemment, il s’est activé sur le front diplomatique. Au Mali, il a réitéré son discours souverainiste et panafricain. « Nous sommes tous des pays souverains, nous devons nous respecter comme des pays souverains », a-t-il déclaré le 12 août à Bamako. Avant de s’en prendre à nouveau au régime de Macky Sall, qui avait placé le Mali sous embargo en même temps que les autres pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour sanctionner le maintien au pouvoir de la junte arrivée après le deuxième coup d’Etat de 2021.

Comme une punition

Les prises de position clivantes étaient la marque de fabrique de l’opposant Ousmane Sonko. Son arrivée à la primature ne l’a pas changé. Le 30 juillet, il a ainsi relancé la polémique sur la possibilité de porter le voile en milieu scolaire francophone. « Cette sortie était populiste. Il n’y avait pas de vrai sujet », estime un cadre de l’Alliance pour la République (APR), le parti fondé par Macky Sall.

Certaines décisions suscitent aussi des critiques. Le président Bassirou Diomaye Faye a ainsi organisé le 11 août un grand mouvement de rotation des magistrats. Trois d’entre eux, qui avaient piloté le dossier de l’affaire de viol présumé par Ousmane Sonko sur une masseuse à Dakar en 2021, ont été mutés à Tambacounda, loin de Dakar, dans l’est du pays. Une décision perçue par de nombreux observateurs comme une punition.

La gouvernance d’Ousmane Sonko semble suspendue à la dissolution de l’Assemblée nationale. Celle-ci pourrait être annoncée mi-septembre par le président Diomaye Faye. « L’ouverture d’une campagne électorale ne peut que profiter à Ousmane Sonko, à qui le costume de chef de parti va très bien », souligne Adji Mergane Kanouté. Le premier ministre pourrait s’appuyer sur son « projet ». Un programme étoffé proposant de nombreuses réformes économiques et sociales. Le projet fédère les militants du Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), fondé et dirigé par M. Sonko. Un cadre du Pastef explique « vouloir des élections législatives au plus vite, pour gouverner vraiment ». L’opposition, quant à elle, tarde à se trouver un leader pour mener cette nouvelle bataille électorale.

Jules Crétois (Dakar, correspondance)

Réutiliser ce contenu